Blog

Chronique de la vie des autres

Salvagnac, le dimanche 19 mars 2023

Je me suis endormi en 2001, je me réveille en 2023

Pourquoi 2001 ? Pour m’endormir en même temps que l’arrivée du Sendo Z100. Vous ne savez pas ce que c’est ? Etonnant ! Allez voir votre faux-ami Google pour avoir la réponse !

Imaginons donc que je m’endorme le 19 mars 2001, pour 22 ans, et qu’une (jolie, tant qu’à faire) princesse vienne m’embrasser fougueusement pour me faire revenir à la vie en ce jour du seigneur.

19 mars 2023, je me réveille assis à la terrasse d’un café, je cherche la princesse, mais je ne vois rien, je suis déçu, j’ai du avoir une absence. Par contre, je vois du monde, les tables sont presque toutes occupées, quelque chose me gène mais je n’en trouve pas tout de suite l’origine. Je ne vois que peu de visages, deux-tiers des personnes ont la tête dirigée vers le bas, ils regardent un appareil avec un écran, qu’ils ont dans la main, sur la table, ou sur les genoux. Ils pianotent, ils glissent les doigts dessus. De temps à autre, ils échangent trois mots avec leur vis-à-vis, boivent une gorgée de café ou de bière, et se remettent à pianoter. Parfois, ils se montrent leurs écrans et pouffent de rire. Une femme solitaire ne quitte pas son appareil des yeux depuis un quart d’heure, elle a la soixantaine, je me demande ce qu’elle tape sur son clavier minuscule, peut-être travaille-t-elle ? En fait, cet appareil dont je ne connais pas le nom semble vraiment le centre de la vie des gens qui sont là. Si un éléphant, suivi d’un chameau, deux brebis, des rois mages et de trois moutons de panurge passaient devant la terrasse, personne ne les verrait. Curieux et assez étonné de ce que j’ observe, je m’approche d’une table et demande gentiment aux gens qui sont là, leurs regards étonnés tournés vers moi : « A quoi sert votre micro-téléviseur portable ? ». Réponse collégiale : un grand éclat de rire, et tout le monde rebaisse la tête et se remet à pianoter et glisser les doigts sur son écran.

Cette petite histoire, c’est le reflet de ma vie sans smartphone : je n’ai jamais possédé ni utilisé cet outil, je trouve que l’ordinateur est déjà bien assez prenant comme cela pour ne pas en rajouter, et je me rends compte AVEC CERTITUDE que j’ai eu raison en voyant évoluer mes proches avec leur « doudou » ! Je me rends compte que les gens ne se sentent pas seuls avec leur « téléphone à tout faire », ils pensent que la vie doit être vécue par écran interposé, sinon pourquoi paniquent-ils à chaque fois que le doudou est introuvable ? Par contre, quand c’est le gamin qui a perdu son jouet, on l’envoie péter sans vergogne en lui disant qu’il y a plus important dans la vie. Les adultes peuvent être pires que les jeunes en terme de comportement en société, l’exemple du restaurant, maintes fois vécu personnellement, est significatif !

Observer les personnes addictes au smartphone et attablées au restaurant est un spectacle d’une tristesse affligeante. Je me souviens notamment d’un jeune couple, dîner en tête à tête au bord de l’eau, chacun avec son portable – en une heure – j’étais juste à la table d’à côté – ces amoureux de leur smartphone ont du se parler directement droit dans les yeux à trois reprises. Je n’ai pas entendu de rires, je n’ai rien entendu en fait, j’ai déjeuné à côté de deux playmobils, quelle tristesse ai-je ressenti pour eux et leurs « vies virtuelles » séparées, où ils doivent se mettre en scène sur les réseaux, parlant d’amour ou de je ne sais quoi d’autre, de l’essence de la vie peut-être. Ils se sentent sans doute heureux de vivre comme ça, tout du moins je le suppose, je n’ai pas osé aller les « interviewer » lorsqu’ils s’apprêtaient à partir, ils m’auraient sans doute pris pour un fou. Voici la question que j’aurais pu leur poser si j’avais eu le cran de le faire : Comment faites-vous l’amour ? Juste tous les deux, chacun avec son smartphone dans des lits jumeaux, ou c’est plutôt une partie à quatre ?

Les médias nous alertent contre les dangers de la drogue, du tabac, de l’alcool, et de tant d’autres choses, mais le smartphone, l’ultime outil de la servitude volontaire et du démembrement des relations humaines au sens « universel » du terme, ne reçoit que des lauriers. A partir du moment où vous avez 80% de drogués, ce sont les 20% qui restent qui deviennent les vilains petits canards hors du coup.

Alors, j’entends toujours les mêmes réponses, identiques à celles des drogués ou des alcooliques qui n’assument pas leur addiction, à mes incessantes questions qui se résument en fait à une seule : pourquoi passez-vous autant de temps sur votre machine alors que vous vous plaignez que les journées sont trop courtes pour bien exécuter tout ce que vous avez à faire (le travail, les enfants, la cuisine ou que sais je encore) ???

Réponse, en résumé : la raison pour laquelle les journées sont trop courtes ne peut pas provenir de l’utilisation que je fais de mon smartphone (non je ne suis pas alcoolique, si on ne peut plus boire une bière de temps en temps lol), c’est de la faute de : des feux tricolores en panne, des embouteillages, du con de livreur qui a bloqué le passage pendant 5 minutes à la sortie du bureau, le gosse qui a mis trois plombes à s’habiller ce matin, le patron qui m’a refilé un truc en plus au dernier moment, etc etc … et les 15 notifications que j’envoie chaque jour sur Face de bouc, Tique toqué, Instable gramme ou encore Touiteur, les échanges sur mon réseau whatsapp (qu’est-ce qu’on se marre !) n’y sont vraiment pour rien.

Pourtant, la réponse honnête serait (et je sais de quoi je parle, j’ai fait un tour aux alcooliques anonymes en 2007) : avec mon smartphone (ma bière, ma cigarette, mon joint, ma cocaïne, etc), je me sens bien, très bien, heureux, oui j’en ai besoin.

Voilà, fermez le ban. Partant de ce constat, je sais que je resterai un mouton noir jusqu’à ma mort, (sauf surprise, si tout le monde se mettait à jeter son smartphone un jour, dégoûté par les conséquences à long terme provoqués par l’amour de ce BIG BROTHER qui n’a pas encore dit son nom). Pourquoi ? Parce que SANS SMARTPHONE, je me sens bien, très bien, heureux, je n’en aurai jamais besoin – sauf un appareil qui reste à la maison pour deux raisons : recevoir des codes de sécurité pour ma banque par exemple, ou un achat en ligne ; et également pour ma sécurité lorsque je suis seul à la maison, le smartphone peut me servir de téléphone si jamais il y a panne d’électricité puisque les lignes fixes à l’ancienne n’existent plus (plus de courant = plus de box, plus de téléphone fixe).

Conclusion : je ne peux ignorer tous les avantages d’avoir une telle machine en notre possession, mais à tout avantage, son inconvénient. Il y a dix ans, les avantages surpassaient encore les inconvénients. Aujourd’hui, à mon humble avis et à la lumière de tout ce qui s’est passé depuis mars 2020, on bascule brutalement en faveur des inconvénients, et pas des « petits » inconvénients. Le principal, en dehors de ce côté addictif qui peut carrément vous vider le cerveau (car tout ce qu’il contient est dans la machine, sans elle, votre cerveau n’a pas sa dose, vous vous sentez vide et vous l’êtes vraiment !), c’est qu’il y a quelqu’un dans la machine, et cette personne est dans toutes les machines qui s’échangent des informations et elle stocke soigneusement (le stockage de données, ne coûte quasiment rien, et en échange de ce qu’il peut apporter …).

Mieux qu’une carte d’identité, le smartphone donne à cette personne qui stocke (un état ou des entités privées) le pedigree complet de chaque individu, un pedigree donné sans aucune contrainte, avec le sourire, parfois même avec le fou rire, et oui, vu de l’extérieur, les gens semblent si heureux avec leur morceau de plastique dans la main, j’en aurais presque les larmes aux yeux tellement c’est émouvant de voir une telle symbiose, ça me fait penser à la première fois que j’ai embrassé une fille sur la bouche !

Si un jour, un gouvernement à la chinoise prenait le pouvoir (en France ou dans n’importe quel pays dit « démocratique »), comment seraient utilisées toutes ces informations ? Personne ne se pose cette question ?

Nous avons ouvert le droit aux gouvernants, aux plus riches du monde (GAFAM), et cela en toute servitude volontaire, de mieux nous connaître que nos propres parents, ou que notre propre conjoint. Nous avons donné notre intimité à des inconnus, et avec le sourire.

Cela fait froid dans le dos.

4 Réponses to “Chronique de la vie des autres”

  1. YMHIAS 19 mars 2023 at 21 h 34 min #

    La plume est là, donc la forme, mais surtout le fond, très allégorique….

  2. Picsou 20 mars 2023 at 15 h 22 min #

    Que dire alors du Chat GPT 4 qui arrive !

  3. Pierral 21 mars 2023 at 14 h 13 min #

    Salut Olivier !
    Évidemment je plussois. Je ne suis pas totalement exempt de tout reproche dans cette relation au smartphone, mais promis, je me soigne
    Heureusement qu’il y a mes minots, il faut bien que je leur montre l’exemple

Laisser un commentaire